Peut-on se prévaloir de la libre circulation des capitaux consacrée par l’article 63 du TFUE pour contester l’application de l’article 209 B du code général des impôts aux bénéfices réalisés par la filiale mauricienne d’une société française ?
Faisant application des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le Conseil d’Etat a clairement répondu par la négative dans une décision récente du 25 avril 2022 (CE 25 avril 2022 Société Rubis, req. n° 439859, publié aux Tables) :
« 4. Il résulte des dispositions de l’article 209 B du code général des impôts dans leur rédaction en litige, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu dissuader les entreprises passibles en France de l’impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du même code. Compte tenu de cet objet et notamment des dispositions de ses III et III bis, l’article 209 B a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France, notamment dans un pays tiers, et d’en déterminer les activités, quand bien même la société établie en France n’en détiendrait pas la majorité du capital ou des droits de vote. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour administrative d’appel de Versailles n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société Rubis ne pouvait utilement se prévaloir, dans le cadre d’un litige mettant en cause sa filiale établie à l’île Maurice, de l’incompatibilité de l’article L. 209 B du code général des impôts avec le principe de libre circulation des capitaux ».
Données du litige fiscal
La société Rubis Energie, établie en France et relevant de l’impôt sur les sociétés, possède la totalité des parts de la société Eccleston Co Ltd, établie à l’Ile Maurice.
La société Rubis Energie a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a réintégré à ses bénéfices imposables les revenus réalisés en 2010 et 2011 par sa filiale mauricienne au motif qu’ils constituent des revenus de capitaux mobiliers réputé acquis en application de l’article 209 B du CGI.
La société Rubis, société mère du groupe fiscal intégré dont fait partie la société Rubis Energie, a alors contesté le complément d’impôt sur les sociétés mis à sa charge du fait de la mise en œuvre de l’article 209 B du CGI devant le juge administratif (tribunal administratif, puis cour administrative d’appel et enfin Conseil d’Etat).
Le dispositif de l’article 209 B du CGI
Afin de réduire son impôt sur les sociétés, une société française pourrait être tentée d’implanter une filiale dans un « paradis fiscal » où ses bénéfices seraient beaucoup moins imposés qu’en France (voire pas du tout) puis de thésauriser ces bénéfices dans la filiale ; ce qui empêcherait leur imposition en France faute de distribution à la société mère française.
L’article 209 B du CGI est un dispositif ayant pour objet de lutter contre de tels mécanismes d’évasion fiscale. Pour ce faire, il déroge aux règles de territorialité de l’impôt sur les sociétés normalement applicables en relocalisant en France, pour le calcul de l’IS de la société mère, les bénéfices réalisés par la filiale dans l’Etat à régime fiscal privilégié.
Article 209 B du CGI et droit de l’Union européenne
Article 209 B du CGI et liberté d’établissement :
Le Conseil d’Etat a déjà jugé de manière claire que l’application de l’article 209 B du CGI pour soumettre à l’IS en France les bénéfices réalisés par une filiale établie dans un Etat de l’UE est incompatible avec la liberté d’établissement, sauf lorsque l’implantation de cette filiale constitue un montage artificiel (CE 4 juillet 2014 Société Bolloré, req. n° 357264, publié au recueil).
Cependant, cette jurisprudence n’était pas invocable en l’espèce par la société Rubis Energie, dans la mesure où sa filiale était implantée dans un pays tiers à l’UE, l’Ile Maurice.
Article 209 B du CGI et libre circulation des capitaux :
La société Rubis Energie a alors soutenu que l’article 209 B du CGI était contraire à la libre circulation des capitaux consacrée par l’article 63 du TFUE laquelle, contrairement à la liberté d’établissement, concerne également les relations entre l’UE et les Etats tiers.
Toutefois, pour que cette incompatibilité entre l’article 209 B du CGI et la libre circulation des capitaux puisse être examinée, encore faut-il que l’article 209 B relève bien de cette liberté.
Or, c’est précisément sur ce point que l’argumentation de la société Rubis Energie a achoppé.
En effet, faisant application des principes dégagées par la jurisprudence de la CJUE, le Conseil d’Etat a rappelé que lorsque sont en cause les relations entre la France et un pays tiers à l’UE, il convient d’examiner l’objet de la législation nationale :
- Lorsqu’il ressort de l’objet de la législation nationale que celle-ci a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société concernée et d’en déterminer les activités, ni la liberté d’établissement ni la libre circulation des capitaux ne sont invocables.
- En revanche, lorsque la législation nationale ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société distribuant les dividendes, la libre circulation des capitaux est invocable.
S’appuyant notamment sur les travaux préparatoires de la loi n° 80-30 du 18 janvier 1980 portant loi de finances pour 1980 qui a donné naissance à l’article 209 B du CGI, le Conseil d’Etat a constaté que cet article a seulement vocation à s’appliquer aux participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de la société concernée et d’en déterminer les activités. Il en a alors logiquement déduit que dans le cadre d’un litige avec un pays tiers à l’UE comme l’Ile Maurice, ni la liberté d’établissement ni la libre circulation des capitaux ne sont invocables.