31 janvier 2023

Donation d’usufruit constitué à titre viager : extinction à la mort du donateur

Me Grégory D'Angela

En cas de donation à titre viager d’un usufruit qui était déjà constitué à titre viager, cet usufruit s’éteint-il à la mort du donateur ou à la mort du donataire ?

Dans un arrêt très récent du 5 janvier 2023 (Cass. Civ. 1ère, 5 janvier 2023, n° 21-13966, publié au bulletin), la Cour de Cassation a jugé qu’en cas de donation à titre viager d’un usufruit qui était déjà constitué à titre viager, cet usufruit s’éteint à la mort du donateur et non à la mort du donataire. 

 

Faits à l’origine du litige

Monsieur X décède. Madame X, son épouse, opte alors pour l’usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession de Monsieur X. Madame X devient ainsi donataire à titre viager de l’usufruit des biens de son époux.

Le 19 octobre 1983, Madame X donne à ses trois enfants (un fils et deux filles) la nue-propriété des droits qu’elle détient personnellement sur deux immeubles qu’elle possédait en commun avec son époux. A la suite de cette donation, Madame X ne possède plus que l’usufruit des droits qu’elle détient personnellement sur ces deux immeubles. Elle conserve également l’usufruit viager des droits que détenait son époux sur ces deux immeubles.

Le 5 juillet 2013, Madame X donne à titre viager à son fils l’usufruit de la totalité des droits qu’elle détient sur les deux immeubles, c’est-à-dire à la fois l’usufruit des droits qu’elle détient personnellement ainsi que l’usufruit des droits que détenait son époux.

Le 13 juillet 2014, Madame X décède.

Les deux filles de Madame X engagent alors une action à l’encontre de leur frère afin d’obtenir une indemnité pour l’occupation illégale par celui-ci depuis le décès de leur mère des deux biens immobiliers.

Le frère estime qu’une telle indemnité n’est pas due dès lors qu’il possède à titre viager l’usufruit des deux biens immobiliers du fait de la donation d’usufruit effectuée à son profit le 5 juillet 2013.

A l’inverse, ses sœurs considèrent qu’une telle indemnité leur est due dès lors que l’usufruit viager que détenait Madame X depuis le décès de son époux a cessé d’exister au décès de leur mère.

La Cour de Cassation devait ainsi déterminer si l’usufruit viager que détenait Madame X depuis le décès de son époux, qu’elle a ensuite donné à titre viager à son fils le 5 juillet 2013, s’était éteint au décès de Madame X (donateur de l’usufruit) ou ne s’éteindrait qu’au décès de son fils (donataire de l’usufruit).

 

Solution du litige

La réponse à cette question n’était pas évidente dans la mesure où les textes ne donnent aucune réponse claire. L’article 595 du code civil se contente d’indiquer que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit ». Quant à l’article 617 du code civil, il indique seulement que « l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ».

Dans son arrêt du 5 janvier 2023 (Cass. Civ. 1ère, 5 janvier 2023, n° 21-13966, publié au bulletin), la Cour de Cassation a donné tort au fils de Madame X en jugeant qu’en cas de donation à titre viager d’un usufruit qui était déjà constitué à titre viager, cet usufruit s’éteint à la mort du donateur.

Une telle solution s’explique par la nécessité de respecter la volonté du 1er donateur. Ainsi, au décès de Monsieur X, l’usufruit des droits que celui-ci possédait sur les deux biens immobiliers a été transmis à titre viager à son épouse et devait donc s’éteindre au décès de son épouse. Il ne pouvait pas être prolongé du seul fait de la volonté de cette dernière.

C’est la raison pour laquelle la Cour de Cassation a insisté sur le fait que la solution rendue ne s’applique qu’en cas de donation d’un usufruit à titre viager qui était déjà constitué à titre viager :

« 7. Il résulte de la combinaison de ces textes qu’en cas de donation d’un usufruit déjà constitué à titre viager, l’usufruit s’éteint à la mort du donateur et non du donataire ».

Qu’entend-on par “usufruit déjà constitué à titre viager” ?

En l’espèce, il y a lieu de rappeler que le 5 juillet 2013, Madame X a donné à titre viager à son fils :

  • l’usufruit des droits qu’elle détenait personnellement sur les deux immeubles
  • et l’usufruit des droits que détenait son époux sur ces biens

La notion d’usufruit déjà constitué à titre viager s’applique à l’usufruit des droits que détenait Monsieur X sur les biens immobiliers. En effet, du fait du décès de Monsieur X, Madame X est devenue donataire à titre viager de l’usufruit des droits que détenait son époux sur ces biens. En donnant à son tour l’usufruit de ces droits à son fils, Madame X a donné un usufruit qui était déjà constitué à titre viager. Cet usufruit s’est donc éteint au décès de Madame X.

En revanche, la notion d’usufruit déjà constitué à titre viager ne devrait pas s’appliquer à l’usufruit des droits que Madame X détenait personnellement sur les deux immeubles. En effet, Madame X n’a jamais reçu à titre viager l’usufruit de ces droits, dans la mesure où cet usufruit est né seulement du démembrement de propriété opéré par la donation-partage du 19 octobre 1983. Cet usufruit devrait donc s’éteindre au décès du fils de Madame X.

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