07 février 2023

Prise de position du fisc publiée sur le site internet de Bercy : un acte attaquable

Me Grégory D'Angela

Le contribuable est-il recevable à demander devant le juge administratif l’annulation d’une prise de position du ministre de l’économie et des finances publiée sur le site internet de Bercy dans la rubrique « Foire aux questions » ?

Dans une décision très récente du 3 février 2023 (CE 3 février 2023, req. n° 451052, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a, faisant application des principes dégagés dans sa jurisprudence « GISTI » du 12 juin 2020, jugé qu’une telle prise de position est attaquable devant le juge administratif dès lors qu’elle est susceptible d’avoir des effets notables sur les droits du contribuable.

 

La prise de position en litige

Le litige soumis au Conseil d’Etat portait sur le point 12 de la partie « Puis-je en bénéficier ? » d’une « foire aux questions » relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, publiée sur le site internet du ministère de l’économie et des finances.

La question était la suivante : « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? ».

Le ministre de l’économie et des finances a répondu par la négative : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».

Considérant que cette réponse lui causait grief, le requérant a demandé au Conseil d’Etat de l’annuler pour excès de pouvoir.

 

Une nouvelle application de la jurisprudence « GISTI »

Avant de statuer sur le bien-fondé de la demande du requérant, la Haute juridiction administrative devait au préalable déterminer si la prise de position du ministre de l’économie et des finances constituait un acte attaquable devant le juge de l’excès de pouvoir.

Pour répondre à cette question de recevabilité, le Conseil d’Etat a rappelé sa jurisprudence « GISTI » du 12 juin 2020 (CE 12 juin 2020 GISTI, req. n° 418142, publié au recueil) :

« Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ».

Faisant application des principes dégagés dans cette jurisprudence « GISTI », le Conseil d’Etat a considéré que la prise de position du ministre de l’économie et des finances publiée dans la rubrique « Foire aux questions » est bien attaquable par la voie du recours pour excès de pouvoir dès lors qu’elle est susceptible d’avoir des effets notables sur les droits du contribuable :

« Par cette question – réponse, les services du ministre de l’économie, des finances et de la relance ont fait part de leur interprétation de l’ordonnance du 25 mars 2020 ainsi que du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret n° 2021-129 du 8 février 2021, pris pour son application. Eu égard à sa teneur, cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d’instruire les demandes d’aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier des mesures de soutien mises en place. Il suit de là que la réponse litigieuse est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. La circonstance que la « foire aux questions » sur laquelle cette réponse a été publiée ne s’adresserait ni aux services en charge de l’instruction des demandes d’aides ni à ceux chargés du contrôle des aides versées est à cet égard sans incidence ».

 

L’annulation de la prise de position du ministre de l’économie et des finances

Sur le fond, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande du requérant. En effet, il a estimé que la prise de position en litige était illégale au motif qu’elle méconnaissait le champ d’application de la loi relative au fonds de fonds de solidarité :

« 6. Il est constant, ainsi que l’indique expressément dans ses écritures le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qu’en adoptant la réponse mentionnée au point 3, ses services ont entendu refuser le bénéfice du fonds de solidarité aux loueurs en meublé non professionnels au sens des dispositions du IV de l’article 155 du code général des impôts citées au point 2. Toutefois, la circonstance que les recettes issues de la location de locaux d’habitation meublés seraient inférieures aux seuils définis par ces dispositions n’est pas de nature à exclure l’exercice, par le loueur, d’une activité économique, et pas davantage, lorsque cette condition est applicable, l’exercice d’une activité principale dans l’un des secteurs énumérés à l’annexe 1 ou à l’annexe 2 du décret du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2021. Dès lors, la réponse mentionnée au point 3 méconnaît la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité résultant des dispositions citées au point 1. Mme A… est fondée, pour ce motif, à demander l’annulation du point 12 de la partie ” Puis-je en bénéficier ‘ ” de la ” foire aux questions ” relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises, dans sa version du 23 mars 2021 ».

Le ministre de l’économie et des finances avait considéré, à tort, que les loueurs en meublés non professionnels n’étaient pas éligibles au fonds de solidarité au motif qu’ils percevaient des recettes annuelles inférieures au seuil de 23 000 €.

Or, comme l’a rappelé à juste titre le Conseil d’Etat, bien qu’inférieure à ce seuil, une activité de location en meublé non professionnelle demeure une activité de nature économique ; ce qui la rend théoriquement éligible au fonds de solidarité.

Le ministre de l’économie et des finances ne pouvait donc pas légalement exclure a priori toute activité de location en meublé non professionnelle du bénéfice du fonds de solidarité.

Commencez à taper et appuyez sur Entrée pour effectuer la recherche

Donation d'usufruit constitué à titre viagerAvis de vérification de comptabilité d'une société étrangère