La France dispose-t-elle du pouvoir exclusif d’imposer la plus-value réalisée par un résident fiscal de France lors de la cession de ses parts dans un partnership américain ?
C’est la délicate question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu positivement dans une décision du 2 février 2022 (CE 2 février 2022, req. n° 443154, publié aux Tables).
Données du litige fiscal
Le 26 novembre 2002, le requérant, domicilié fiscalement en France, a vendu à un groupe pharmaceutique canadien la totalité des parts (soit 25 % du capital) qu’il possédait dans le « partnership » de droit américain Pharma Pass LLC Limited, en contrepartie d’un prix de vente assorti de compléments de prix annuels.
Le requérant a considéré que le gain résultant de cette vente était un bénéfice rattachable à l’établissement stable dont il pensait disposer aux Etats-Unis à travers le partnership.
Or, selon l’article 7 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994, les bénéfices d’une entreprise qui sont rattachables à un établissement stable sont imposables dans l’Etat contractant où est situé cet établissement stable :
« 1. Les bénéfices d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de l’entreprise sont imposables dans l’autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ».
Le requérant s’est fondé sur ces stipulations pour considérer que le gain en litige était imposable aux Etats-Unis ; ce qui lui permettait de bénéficier en France, conformément à l’article 24 relatif à l’élimination des doubles impositions, d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français.
L’administration fiscale française ne l’a pas entendu de la même oreille. Elle a considéré que le gain retiré de la vente des parts dans le partnership constituait un gain en capital sur lequel la France avait un pouvoir d’imposition exclusif en vertu du § 6 de l’article 13 de la convention fiscale franco-américaine. En conséquence, elle a remis en cause les crédits d’impôt déclarés par le requérant ; ce qui a entraîné une rectification fiscale.
Solution du litige fiscal
Un gain en capital :
La première question à laquelle a répondu le Conseil d’Etat dans sa décision du 2 février 2022 était de savoir si, comme le soutenait le requérant, le gain retiré de la vente des parts dans le partnership constituait un « bénéfice d’une entreprise » relevant de l’article 7 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ou bien, comme le soutenait l’administration fiscale, un gain en capital relevant de son article 13.
Par nature, le gain retiré de la cession de parts détenues dans un partnership constitue un gain en capital. Ceci procède du fait que les parts d’un partnership constituent des biens mobiliers faisant partie de l’actif de leur détenteur et non de l’actif du partnership lui-même.
Par suite, comme l’a jugé le Conseil d’Etat, le gain retiré de la cession de parts détenues dans un partnership relève des stipulations de l’article 13 de la convention fiscale franco-américaine :
« 5. Les revenus issus de la cession d’une participation dans un ” partnership ” de droit américain ne sauraient être regardés comme ayant été réalisés par l’intermédiaire de cette entité pour l’application du 4 de l’article 7 de la convention franco-américaine relatif aux bénéfices des entreprises et relèvent de l’article 13 de cette convention relatif aux gains en capital ».
Un gain en capital non rattachable à un établissement stable :
La seconde question à laquelle a répondu le Conseil d’Etat dans sa décision du 2 février 2022 était de savoir si le gain en capital était rattachable ou non à un établissement stable.
Si oui, le gain relève du § 3 a) de l’article 13 de la convention fiscale franco-américaine ; ce qui permet au contribuable de bénéficier en France, conformément à l’article 24 relatif à l’élimination des doubles impositions, d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt payé aux Etats-Unis.
Si non, le gain relève du § 6 de l’article 13 de la convention fiscale franco-américaine ; ce qui ne permet pas au contribuable de bénéficier d’un crédit d’impôt en France, la France ayant un pouvoir exclusif d’imposition.
Le § 3 a) de l’article 13 de la convention fiscale franco-américaine stipule que :
« 3. a) Les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable ou d’une base fixe qu’une entreprise ou un résident d’un Etat contractant a dans l’autre Etat contractant, y compris de tels gains provenant de l’aliénation de cet établissement stable (seul ou avec l’ensemble de l’entreprise) ou de cette base fixe, sont imposables dans cet autre Etat ».
En vendant ses parts dans le partnership, le requérant pouvait-il être considéré, au sens de ces stipulations, comme vendant un bien mobilier faisant partie de l’actif d’un établissement stable ou bien comme vendant l’établissement stable lui-même ?
Le Conseil d’Etat a répondu par la négative au motif que l’article 7 de la convention fiscale franco-américaine ne comporte aucune stipulation expresse selon laquelle l’associé d’un partnership disposerait, à travers le partnership, d’un établissement stable.
Il est vrai que le § 4 de l’article 7 se borne à poser le principe de transparence fiscale du partnership, à savoir que l’associé du partnership est considéré comme ayant lui-même réalisé le revenu du partnership, à hauteur de ses droits dans le capital :
« 4. Un associé d’un ” partnership ” est considéré comme ayant réalisé des revenus ou bénéficié de déductions dans la mesure de sa part des résultats du ” partnership ” telle qu’elle est prévue par l’accord d’association (à condition que les attributions spéciales de résultats aient un fondement économique réel). Le caractère – y compris la source et l’imputabilité à un établissement stable – de tout élément de revenu ou de toute déduction attribuables à un tel associé est déterminé comme si l’associé avait réalisé ces éléments de revenu ou bénéficié de ces déductions de la même manière que le ” partnership ” les a réalisés ou en a bénéficié ».
Le Conseil d’Etat en a déduit logiquement que le requérant ne justifiait pas que la cession de ses parts dans le partnership pouvait être rattachée à un établissement stable.
Par suite, l’administration fiscale française était fondée à imposer le gain retiré de la cession de ses parts, sans que le requérant ne puisse bénéficier d’un crédit d’impôt.