18 novembre 2022

IS : impossible report en avant des déficits constatés fiscalement hors de France

Me Grégory D'Angela

Une société étrangère exerçant une activité imposable en France à l’impôt sur les sociétés peut-elle imputer sur son bénéfice un déficit afférent à un exercice antérieur pour lequel elle n’était pas encore imposable en France ?

Dans une décision « Kimmolux » rendue il y a trois jours (CE 15 novembre 2022 Kimmolux, req. n° 444902, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a écarté cette possibilité au motif que seul un déficit « constaté fiscalement » en France peut être reporté en avant en vertu du troisième alinéa du I de l’article 209 du code général des impôts (CGI). Or, tel n’est pas le cas du déficit dégagé par une activité à raison de laquelle la société n’est pas imposable en France.

 

Les faits à l’origine du litige fiscal

Créée en 2004, la société Kimmolux, dont le siège est au Luxembourg, est propriétaire d’immeubles situés en France qu’elle donne en location.

1) Pour les exercices clos avant le 1er janvier 2008 :

L’article 4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, dans sa rédaction antérieure à l’avenant du 24 novembre 2006, stipulait que :

« Les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l’Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable ».

Les résultats générés par Kimmolux à raison de la location de ses immeubles situés en France n’étaient rattachables à aucun établissement stable situé en France et étaient donc imposables au Luxembourg en application de ce texte.

Il est à noter que ses résultats étaient déficitaires avant le 1er janvier 2008.

2) Pour les exercices clos à compter du 1er janvier 2008 :

L’article 3 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, dans sa rédaction issue de l’avenant du 24 novembre 2006, stipule désormais que :

« 1. Les revenus des biens immobiliers et de leurs accessoires, y compris les bénéfices des exploitations agricoles et forestières, ne sont imposables que dans l’Etat où les biens sont situés.

Cette disposition s’applique également aux bénéfices provenant de l’aliénation desdits biens.

2. Les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également aux revenus provenant de l’exploitation et de l’aliénation des biens immobiliers d’une entreprise».

En vertu de ce texte issu de l’avenant du 24 novembre 2006 entré en vigueur le 1er janvier 2008, les résultats générés par Kimmolux à raison de la location de ses immeubles situés en France sont désormais imposables en France.

Or, les résultats de Kimmolux générés depuis le 1er janvier 2008 sont bénéficiaires.

La société Kimmolux a alors déduit de son bénéfice imposable à l’IS au titre de l’exercice clos en 2008 les déficits générés antérieurement alors que ses résultats étaient imposables au Luxembourg.

L’administration fiscale a remis en cause la déduction de ce déficit et a, en conséquence, assujetti la société Kimmolux à une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés.

 

L’absence de déductibilité des déficits « constatés fiscalement » hors de France

L’article 209, I, alinéa 3 du CGI dispose que :

 « Sous réserve de l’option prévue à l’article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d’un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant ».

Ce texte fonde le principe du report en avant des déficits. Ainsi, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n’est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté sur les exercices suivants.

L’article 209, I, alinéa 3 du CGI ne précise toutefois pas expressément si le déficit doit, pour être reportable, avoir été généré par une activité imposable en France.

1) Le doute était permis. En effet, le Conseil d’Etat juge depuis longtemps que l’absence de déclaration à l’IS d’un déficit ne fait pas obstacle à l’imputation de ce déficit sur les bénéfices ultérieurs. Ainsi, la Haute juridiction administrative a précisé récemment que le déficit subi par une société pendant un exercice durant lequel elle était soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, et qui n’a donc pas été déclaré à l’IS, pouvait néanmoins être reporté sur les bénéfices des exercices suivants soumis à l’IS (CE 31 décembre 2020 SCI Calme, req. n° 428297, publié aux Tables).

Or, un déficit généré par une activité non imposable en France n’est, par définition, pas déclaré à l’IS en France. Pourrait-il alors bénéficier de cette jurisprudence ?

2) En jugeant, dans sa décision « Kimmolux » du 15 novembre 2022, que seul un déficit « constaté fiscalement » en France peut être reporté en avant en vertu du troisième alinéa du I de l’article 209 du CGI, le Conseil d’Etat a clairement entendu exclure cette possibilité.

Pourquoi une telle décision ? S’il l’avait admis, cela aurait permis à l’administration fiscale française – et donc ultérieurement au juge de l’impôt français – de contrôler le montant du déficit constaté fiscalement par une administration fiscale étrangère ; ce qui n’est assurément pas son rôle.

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