07 avril 2022

Précisions sur la notion de cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire

Me Grégory D'Angela

Lorsqu’un particulier, qui détient l’usufruit viager de titres d’une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, décide d’apporter pour une durée de trente ans l’usufruit de ces titres à une société, cet apport constitue-t-il une cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire ou bien d’un usufruit viager ?

Dans une importante décision du 31 mars 2022 (CE 31 mars 2022, req. n° 458518, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a précisé qu’un tel apport constitue une cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire.

En conséquence, la plus-value générée par cet apport est soumise au régime fiscal spécial prévu au 1° du 5 de l’article 13 du code général des impôts (CGI), c’est-à-dire est imposée comme un revenu et non comme une plus-value.

 

Données du litige fiscal

Le 23 juillet 2013, la requérante a obtenu, grâce à une donation-partage de son père, l’usufruit viager de 36 parts sociales de la SNC C et Cie.

Le 2 décembre 2013, la requérante a constitué avec son père la SAS Origan. A cette occasion, elle a apporté à la SAS Origan, pour une durée de trente ans (durée maximale prévue par l’article 619 du code civil), l’usufruit des 36 parts sociales de la SNC C et Cie. En contrepartie de son apport, la requérante a obtenu en pleine propriété 12 480 actions de la SAS Origan pour une valeur totale de 1 248 000 € (chaque action ayant une valeur nominale de 100 euros).

L’apport réalisée par la requérante au profit de la SAS Origan constitue une cession à titre onéreux, dès lors qu’elle en retire une contrepartie.

Ceci étant, cette cession à titre onéreux porte-elle sur un usufruit temporaire ou un usufruit viager ?

Cette question contentieuse apparaît particulièrement délicate car si l’usufruit n’a été apporté que pour une durée de trente ans à la SAS Origan, il n’en reste pas moins que la requérante bénéficie d’un usufruit viager sur les parts sociales de la SNC C et Cie.

 

Solution du litige fiscal

La qualification d’usufruit temporaire :

Dans sa décision précitée du 31 mars 2022 (CE 31 mars 2022, req. n° 458518, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a tranché en faveur de la qualification de cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire au seul motif que l’usufruit a été apporté pour une durée fixe (trente ans).

Le fait que le cédant bénéficiait d’un usufruit viager (usufruit préconstitué) sur les titres apportés n’est pas de nature à remettre en cause cette qualification :

« 3. D’autre part, aux termes du 1° du 5 de l’article 13 du code général des impôts : ” Pour l’application du 3 et par dérogation aux dispositions du présent code relatives à l’imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé (…) “. Ces dispositions trouvent à s’appliquer tant à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d’un bien ou droit, d’un usufruit portant sur celui-ci qu’à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d’un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d’usufruit pour une période qui n’est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine ».

Cette solution apparaît sévère pour le contribuable car elle impose la plus-value générée par l’apport comme un revenu (article 13, 5, 1° du CGI) et non comme une plus-value.

Le possible évitement de la qualification d’usufruit temporaire ? 

Toutefois, il nous semble que la requérante a été mal conseillée car elle aurait sans doute pu échapper à la qualification de « cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire ».

En effet, au lieu de préciser que l’usufruit était apporté pour une durée fixe (trente ans), il aurait été possible de préciser qu’il était apporté à la SAS Origan pour une durée correspondant à la survivance de ses associés.

Un tel schéma aurait permis de faire entrer l’apport d’usufruit dans le cadre fixé par la jurisprudence du 31 mars 2022 selon laquelle l’article 13, 5, 1° du CGI ne s’applique pas lorsque l’usufruit est cédé « pour une période exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine ».

Un tel schéma aurait également pu s’insérer dans le cadre fixé par la doctrine administrative (BOI-IR-BASE-10-10-30, § 90) selon laquelle :

« Lorsque l’usufruit est cédé à une personne morale, il convient de distinguer :

– si l’usufruit est constitué sur la tête de la personne morale, c’est-à-dire qu’il est détaché de la pleine propriété du cédant : dans ce cas, la cession entre dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI. En effet, en application de l’article 619 du code civil, la durée de cet usufruit ne pouvant excéder trente ans, cet usufruit est nécessairement consenti pour une durée fixe ;

– si l’usufruit est préconstitué sur la tête du cédant antérieurement à la cession : dans ce cas, la cession porte sur un usufruit viager et, à ce titre, n’entre pas dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI, à moins que l’usufruit ne soit consenti pour une durée fixe.

Exemple 1 : Suite à une succession, la propriété d’un bien est démembrée. Par la suite, l’usufruitier et le nu-propriétaire apportent conjointement leurs droits respectifs à une société :

– première hypothèse : l’apport de l’usufruit est réalisé au profit de la société sans mention de durée : l’apport n’est pas dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI s’agissant de l’apport d’un usufruit viager préconstitué.

– seconde hypothèse : l’apport de l’usufruit est consenti à la société pour une durée de quinze ans : l’apport est dans le champ d’application des dispositions du 5 de l’article 13 du CGI s’agissant d’un apport d’usufruit pour une durée fixe ».

Enfin, il est à noter qu’en matière de droits d’enregistrement, la Cour de Cassation a jugé, elle aussi, que « la liquidation des droits d’enregistrement afférents à une cession d’usufruit entre personnes morales est soumise aux dispositions de l’article 669, I du code général des impôts dès lors que cet usufruit, cédé pour la durée de la survivance de personnes physiques, est de nature viagère, peu important qu’il ne puisse excéder trente ans aux termes de l’article 619 du code civil » (Cass. Com., 26 septembre 2018, SCI Placimmo, n° 16-26503, publié au bulletin).

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