18 octobre 2022

La pleine application en matière fiscale de la rétroactivité de la loi pénale plus douce

Me Grégory D'Angela

Une société se voyant infliger une amende de 50 % pour non délivrance de facture peut-elle se prévaloir des dispositions nouvelles du 3 du I de l’article 1737 du code général des impôts (CGI) qui lui permettraient d’obtenir un abaissement du taux de l’amende à 5 % alors même que cette loi nouvelle n’est entrée en vigueur qu’après la formation de son pourvoi en cassation ?

Dans une décision importante du 7 octobre 2022 (CE Sect. 7 octobre 2022 Société KF3 Plus, req. n° 443476, publié au recueil), le Conseil d’Etat a répondu favorablement. Il a admis solennellement, en formation de Section, l’application en matière fiscale du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, y compris lorsque celle-ci entre en vigueur après la saisine du juge de cassation.

 

Les conséquences de la décision QPC du 26 mai 2021

La société KF3 Plus a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale lui a infligé au titre des années 2012 et 2013 l’amende de 50 % prévue au 3 du I de l’article 1737 du CGI, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, pour non délivrance de factures.

Par une décision du 26 mai 2021 (CC 26 mai 2021 Société KF3 Plus, n° 2021-908 QPC), le Conseil constitutionnel a, à la suite d’une QPC, déclaré ce paragraphe 3 du I de l’article 1737 du CGI contraire à la Constitution pour violation du principe de proportionnalité mais a déclaré que la déclaration d’inconstitutionnalité ne porterait effet qu’à compter du 31 décembre 2021 ; ce qui empêche la société KF3 Plus de s’en prévaloir pour demander la décharge de l’amende de 50 % qui lui a été infligée.

A la suite de cette décision d’inconstitutionnalité du 26 mai 2021, le législateur a, par l’adoption de l’article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, applicable à compter du 1er janvier 2022, modifié le paragraphe 3 du I de l’article 1737 du CGI afin de le rendre compatible avec le principe de proportionnalité des peines.

Ce nouveau texte prévoit notamment que lorsqu’une facture n’est pas délivrée mais que la transaction est néanmoins comptabilisée, le taux de l’amende est réduit à 5 %, y compris lorsque le contribuable n’a pas adressé à l’administration la preuve de cette comptabilisation dans les trente jours d’une mise en demeure. L’ancien texte était plus sévère dans la mesure où il prévoyait que le taux de l’amende était réduit à 5 % uniquement lorsque le contribuable adressait à l’administration la preuve de cette comptabilisation dans les trente jours d’une mise en demeure.

La société KF3 Plus peut-elle se prévaloir de cette loi nouvelle, sachant qu’elle n’est entrée en vigueur qu’après la formation de son pourvoi devant le Conseil d’Etat ?

 

Les règles relatives à la rétroactivité de la loi en matière pénale

Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale :

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pose le principe de non rétroactivité de la loi pénale :

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Ce principe est repris à l’article 112-1 alinéas 1 et 2 du code pénal qui dispose que :

« Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.

Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date ».

En vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, la loi pénale ne peut pas s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur.

L’exception : l’application immédiate de la loi pénale plus douce :

Par exception au principe de non rétroactivité de la loi pénale, il est admis que la loi pénale plus douce s’applique à des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur.

Ce principe de la rétroactivité in mitius (terme latin signifiant rétroactivité en plus doux) a été consacré à l’article 112-1 alinéa 3 du code pénal :

« Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ».

Une loi pénale plus douce s’entend d’une loi pénale modifiée dans le sens de la clémence (suppression d’une incrimination, abolition ou abaissement de la peine).

 

La pleine application dans le domaine fiscal de la rétroactivité de la loi pénale plus douce

La rétroactivité de la loi pénale plus douce est également applicable en matière fiscale lorsque la pénalité infligée au contribuable présente le caractère d’une sanction.

Comme l’a jugé de manière solennelle le Conseil d’Etat dans sa décision KF3 Plus (CE Sect. 7 octobre 2022 Société KF3 Plus, req. n° 443476, publié au recueil), le juge de l’impôt a l’obligation d’en faire bénéficier le contribuable, qu’il s’agisse du juge du fond (tribunal administratif ou cour administrative d’appel) ou du juge de cassation (Conseil d’Etat) :

« Il appartient au juge du fond, saisi d’une contestation portant sur une sanction, de faire application, même d’office, d’une loi répressive nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l’infraction a été commise et celle à laquelle il statue. Il en va de même pour le juge de cassation si la loi nouvelle est entrée en vigueur postérieurement à la décision frappée de pourvoi ».

Il est toutefois à noter, et c’est là l’importance de la décision « Société KF3 Plus », que le juge de cassation a désormais l’obligation d’appliquer rétroactivement la loi pénale plus douce même si celle-ci n’entre en vigueur qu’après la formation du pourvoi en cassation ; ce qui n’était pas le cas auparavant.

En application de ce principe, le Conseil d’Etat a admis que la société KF3 Plus était fondée à se prévaloir du paragraphe 3 du I de l’article 1737 du CGI dans sa nouvelle rédaction, et ce alors même que celle-ci n’est entrée en vigueur qu’après la formation de son pourvoi en cassation :

« 11. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que les opérations de vente sans facture ayant donné lieu à l’application de l’amende prévue au 3 du 1 de l’article 1737 du code général des impôts, pour un montant de 623 598 euros au titre de l’exercice 2012 et de 636 178 euros au titre de l’exercice 2013, ont été constatées dans les écritures comptables de la société pour les deux années en litige et portées dans un compte de recettes en espèces. Dès lors, la société est fondée à soutenir que les transactions en litige ont été comptabilisées par elle et, par suite, à demander, d’une part, la réduction du taux applicable aux amendes en litige à 5 % et, d’autre part, leur plafonnement à la somme de 37 500 euros, conformément aux dispositions issues de l’article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 ».

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