15 novembre 2021

Concession de marques et brevets : imposition des redevances

Me Grégory D'Angela

L’article 155 A du code général des impôts permet-il d’imposer à l’impôt sur le revenu, dans les mains du créateur d’une gamme de produits parapharmaceutiques à base d’huiles essentielles, les redevances versées à la société étrangère propriétaire des marques et brevets correspondant à cette gamme en vue de leur exploitation commerciale ?

Dans une décision du 5 novembre 2021, le Conseil d’Etat a répondu par la négative au motif que les redevances n’étaient la contrepartie d’aucune prestation de services réalisée par le créateur de la gamme de produits parapharmaceutiques en question (CE 5 novembre 2021, req. n° 433367, publié aux Tables).

 

L’article 155 A du code général des impôts

Le I de l’article 155 A du code général des impôts (CGI) détermine trois cas dans lesquels « les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières ».

Ces dispositions visent à neutraliser les montages abusifs dans lesquels une personne domiciliée fiscalement en France crée à l’étranger, dans un Etat à régime fiscal privilégié, une société qui va percevoir à sa place la rémunération des prestations de service qu’elle réalise, permettant ainsi à ses rémunérations d’échapper à l’impôt sur le revenu en France.

L’article 155 A du CGI est une arme anti-abus que l’administration fiscale peut utiliser sans être contrainte de mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales.

A l’origine, l’article 155 A du CGI était utilisé pour lutter contre les sociétés dites de « location de star » (« rent a star company ») créées par les sportifs et les artistes.  L’administration fiscale l’a ainsi utilisé à l’encontre de Mireille Mathieu, de Charles Aznavour, de Jean Vuarnet ou encore d’Edmilson Gomes de Moares, footballeur de l’Olympique lyonnais.

Cependant, l’article 155 A du CGI a un champ d’application beaucoup plus large que les seules prestations de services réalisées par les sportifs et les artistes puisqu’il s’étend à toute activité pouvant être qualifiée de « prestation de services ».

 

La qualification de prestation de services

En l’espèce, les requérants ont cédé en 2008 à la société Sisig (établie au Royaume-Uni) les marques et brevets correspondant à une gamme de produits parapharmaceutiques qu’ils avaient créée. A la suite de cette cession, la société Sisig a conclu un contrat de licence avec la société Aroma Théra afin de lui permettre d’exploiter commercialement les marques et brevets en question.

L’administration fiscale a imposé dans les mains des requérants les redevances versées de 2009 à 2011 par la société Aroma Théra à la société Sisig, estimant que ces redevances étaient en fait la contrepartie d’une prestation de service qu’ils ont réalisé au profit d’Aroma Théra.

Il est certain que la seule concession de l’exploitation d’une marque ne saurait être qualifiée de prestation de services. Dans l’affaire « Vuarnet » (CE 8 juin 2020 Jean Vuarnet, req. n° 418962 et n° 418963), le Conseil d’Etat avait déjà jugé que l’administration fiscale n’était pas fondée à mettre en œuvre l’article 155 A du CGI à l’encontre de Jean Vuarnet, ancien champion olympique de ski, dès lors qu’il n’avait réalisé aucune prestation de services en concédant, par l’intermédiaire d’une société située à l’étranger, l’exploitation des marques et logos « Vuarnet » dont il était le créateur.

Au cas présent, la question de l’existence d’une prestation de services était plus délicate que dans l’affaire « Vuarnet ». En effet, afin de démontrer l’existence d’une prestation de services, l’administration fiscale entendait se prévaloir du fait que les requérants s’occupaient de l’entretien, du renouvellement, de l’extension des marques et brevets et, plus généralement, accomplissaient tous les actes nécessaires au maintien de leur protection.

Le Conseil d’Etat a écarté cet argument invoqué par l’administration fiscale au motif que « l’entretien, le renouvellement, l’extension des marques et brevets et, plus généralement, l’accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets ».

Cette analyse du Conseil d’Etat nous semble difficilement contestable. Une marque ou un brevet non renouvelé ne pouvant plus être concédé, il va de soi que la concession de la marque ou du brevet et leur renouvellement sont indissociables. Par suite, dès lors que la concession d’une marque ou d’un brevet ne constitue pas une prestation de service, le renouvellement de cette marque ou de ce brevet ne saurait également être qualifié de prestation de service.

Il en résulte que l’administration fiscale n’était pas fondée à mettre en œuvre l’article 155 A du code général des impôts à l’encontre des requérants.

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