01 février 2022

Création d’une société en Belgique et abus de droit fiscal

Me Grégory D'Angela

Le seul fait pour une personne ayant son domicile fiscal en France de créer une société en Belgique ne constitue pas en soi un abus de droit fiscal. Mais l’abus de point fiscal peut être caractérisé lorsque cette société constitue un montage artificiel, c’est-à-dire une société dépourvue de toute substance économique créée dans le seul but de permettre au contribuable d’échapper à l’impôt en France.

La notion de montage artificiel n’est pas nouvelle. Le Conseil d’Etat l’a déjà utilisée par exemple pour permettre la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit (art. L. 64 du Livre des procédures fiscales) dans un cas où le contribuable était susceptible de se prévaloir de la garantie contre les changements de doctrine (CE Ass. 28 octobre 2020 Charbit, req. n° 428048, publié au recueil).

Dans une décision du 28 janvier 2022, le Conseil d’Etat a de nouveau fait application de cette notion de montage artificiel à l’occasion de l’affaire de l’achat-revente du groupe d’édition Editis par Wendel Investissement (CE 28 janvier 2022, req. n° 433965, publié aux Tables).

 

Les faits à l’origine de l’abus de droit fiscal

L’opération d’achat d’Editis en 2004 puis de sa revente en 2008 a généré un gain que Wendel Investissement souhaitait partager avec les cadres dirigeants d’Editis participant à l’opération. Pour ce faire, Wendel Investissement a créé, juste avant le début des opérations d’achat d’Editis, la société Odyssée Management, à laquelle devaient participer financièrement les cadres dirigeants d’Editis concernés.

M. H, domicilié fiscalement en France, est un ancien cadre dirigeant d’Editis participant à l’opération. Dans ce cadre, il a acheté en 2004 des actions de la société Odyssée Management qu’il a revendues en 2008 ; ce qui a généré une plus-value de plus d’un million d’euros.

M. H. a cependant eu la très mauvaise idée (ou a été très mal conseillé) de vouloir interposer, dans cette opération d’achat revente des actions Odyssée Management, une société créée en Belgique dans le seul et unique but d’être exonéré d’impôt sur la plus-value.

L’article 192 du code de l’impôt sur les revenus belge prévoit, en effet, l’exonération totale d’imposition en faveur des plus-values de cession de participations détenues par des sociétés holdings belges.

En vendant ses actions Odyssée Management à la société qu’il a établie en Belgique puis en faisant ultérieurement revendre ses actions par cette société belge, M. H. pensait, à tort, pouvoir bénéficier de cette disposition de la loi fiscale belge.

 

La caractérisation de l’abus de droit fiscal

Pour neutraliser cette disposition de la loi fiscale belge, l’administration fiscale française a dégainé l’arme de l’abus de droit fiscal afin de lui rendre inopposable l’interposition de la société belge.

Pour ce faire, elle a estimé que cette société établie en Belgique, bien qu’ayant une réelle existence juridique, n’avait aucune substance économique et ne constituait ainsi qu’un montage artificiel.

Le Conseil d’Etat a entériné cette analyse et a considéré que la société belge en litige répondait bien à la qualification de montage artificiel eu égard au fait que :

  • Elle avait été créée peu avant l’acquisition par M. H des actions Odyssée Management
  • Les actions Odyssée Management constituaient le seul actif de cette société
  • Le prix des actions Odyssée Management n’a jamais été payé par la société belge à M. H mais a seulement donné lieu à une inscription au crédit de son compte courant d’associé
  • La société belge n’avait ni locaux ni moyens ni personnel
  • La société belge n’avait aucune autonomie de gestion sur les actions Odyssée Management compte tenu de l’existence d’un pacte d’actionnaires entre les différents actionnaires d’Odyssée Management

Bien sûr, pour caractériser l’abus de droit fiscal, le Conseil d’Etat a également tenu compte du fait que M. H. poursuivait un but exclusivement fiscal dans la mesure où la création de la société belge ne répondait à aucun « motif économique, financier ou patrimonial ».

L’abus de droit fiscal a eu pour conséquence de rendre inopposable la société belge à l’administration fiscale française. M. H a ainsi été regardé comme ayant lui-même cédé les actions Odyssée Management ; ce qui a entraîné, outre son imposition en France, l’application de majorations et intérêts de retard.

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