20 juillet 2019

Crédit d’impôt sur les intérêts versés à une banque française par ses succursales étrangères

Me Grégory D'Angela

Une banque française percevant de ses succursales implantées à l’étranger des intérêts en rémunération de prêts qu’elle leur a consentis peut-elle imputer sur l’impôt sur les sociétés dû en France les crédits d’impôts conventionnels correspondant aux retenues à la source appliquées sur ces intérêts ?

Dans sa décision « BNP Paribas » (CE 10 juillet 2019 BNP Paribas, req. n° 418108, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a admis que les intérêts en litige “provenaient” au sens des conventions fiscales conclues par la France des Etats où étaient implantées les succursales et qu’en conséquence, la banque française pouvait bénéficier de ces crédits d’impôt conventionnels :

« 3. Pour refuser le bénéfice des stipulations conventionnelles relatives aux intérêts invoquées par la société BNP Paribas, la cour, après avoir qualifié d’intérêts au sens de ces conventions les sommes versées par les succursales au siège de la société, a jugé ces stipulations inapplicables au motif, d’une part, que les débiteurs des intérêts, qu’elle a identifiés comme étant les succursales, n’étaient pas des résidents des Etats dans lesquels ils étaient installés et, d’autre part, qu’il ne résultait pas de l’instruction que ces succursales auraient, dans ces Etats, un établissement stable ou une base fixe pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts aurait été contractée et qui supporterait la charge de ces intérêts, de sorte que les intérêts en litige ne pouvaient être regardés comme provenant de l’autre Etat contractant, au sens du 6 des stipulations précitées. En statuant ainsi alors, d’une part, que la société BNP Paribas, ainsi qu’elle le soutenait, devait être regardée comme débitrice de ces intérêts versés par ses succursales, et, d’autre part, qu’elle n’a pas recherché si elle avait en Chine, aux Philippines, en Inde, à Singapour et en Thaïlande, par leur intermédiaire, des établissements stables pour lesquels les dettes donnant lieu au paiement des intérêts ont été contractées et qui supportent la charge de ces intérêts, de sorte que ces intérêts devaient être considérés, pour l’application de ces stipulations, comme provenant de ces pays, la cour a commis une erreur de droit ».

 

Données du litige fiscal

La société BNP Paribas a perçu de ses succursales implantées en Chine, en Inde, aux Philippines, à Singapour et en Thaïlande des intérêts au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007 en rémunération de prêts qu’elle leur avait accordés. Ces intérêts ont été soumis à des retenues à la source dans les différents Etats où les succursales de la BNP Paribas sont implantées.

La société BNP Paribas estime qu’en application des conventions fiscales bilatérales conclues par la France avec la Chine, l’Inde, les Philippines, Singapour et la Thaïlande les retenues à la source appliquées sur les intérêts lui permettent de bénéficier de crédits d’impôt imputables sur l’impôt sur les sociétés, dès lors que les intérêts « proviennent » de ces Etats au sens desdites conventions.

L’administration fiscale considère, à l’inverse, que les intérêts « ne proviennent pas » des différents Etats où sont implantées les succursales de la BNP Paribas. En conséquence, elle a, à l’issue d’une vérification de comptabilité, remis en cause les crédits d’impôts conventionnels qui avaient été imputés par la BNP Paribas sur son impôt sur les sociétés.

 

Stipulations de la convention fiscale franco-chinoise du 30 mai 1984 et des autres conventions fiscales bilatérales en litige

L’article 10 de la convention fiscale conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu stipule que :

« 1. Les intérêts provenant d’un Etat contractant et payés à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat.

 2. Toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l’Etat contractant d’où ils proviennent et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les intérêts en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des intérêts.

 4. Le terme ” intérêts ” employé dans le présent article désigne les revenus de créances de toute nature, assorties ou non de garanties hypothécaires ou d’une clause de participation aux bénéfices du débiteur, et notamment les revenus des fonds publics et des obligations d’emprunts, y compris les primes et lots attachés à ces titres.

6. Les intérêts sont considérés comme provenant d’un Etat contractant lorsque le débiteur est le Gouvernement de cet Etat lui-même, une collectivité locale ou un résident de cet Etat. Toutefois, lorsque le débiteur des intérêts, qu’il soit ou non un résident d’un Etat contractant, a dans un Etat contractant, un établissement stable, ou une base fixe, pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts, ceux-ci sont considérés comme provenant de l’Etat contractant où l’établissement stable, ou la base fixe, est situé».

Les conventions fiscales conclues par la France avec l’Inde le 29 septembre 1992, avec les Philippines le 29 septembre 1992, avec Singapour le 9 septembre 1974 et avec la Thaïlande le 27 décembre 1974 comportent des stipulations similaires.

 

Notion de débiteur des intérêts

Il ressort des stipulations du paragraphe 6 de l’article 10 que les intérêts ne peuvent être regardés comme provenant de Chine que si leur débiteur :

  • est un résident de Chine
  • ou a en Chine un établissement stable ayant contracté la dette et supportant la charge du paiement des intérêts de cette dette.

La solution du litige fiscal repose ainsi sur la notion de « débiteur » des intérêts.

En l’espèce, la cour administrative d’appel a considéré que les débiteurs des intérêts étaient les succursales de la BNP Paribas. Ce faisant, elle a estimé que la notion de débiteur s’entend au sens de débiteur économique.

A l’inverse, le Conseil d’Etat a considéré que seule la BNP Paribas – et non ses succursales en l’absence de personnalité morale – pouvait être qualifiée de débitrice des intérêts. Pour les juges du Palais Royal, la notion de débiteur s’entend donc uniquement au sens juridique.

Une telle solution n’allait cependant pas de soi. En effet, les dettes ayant été contractées par les succursales, la BNP Paribas était également créancière des intérêts …

En tout état de cause, l’analyse du Conseil d’Etat permet d’arriver à la conclusion que les intérêts « provenaient » bien de la Chine, l’Inde, les Philippines, Singapour et la Thaïlande au sens des conventions fiscales conclues par ces Etats avec la France. En effet, en tant que débitrice des intérêts, la BNP Paribas possède dans ces Etats, via ses succursales, des établissements stables ayant contracté la dette et supportant la charge du paiement des intérêts de cette dette.

Par conséquent, contrairement à ce qu’affirmait l’administration fiscale, la BNP Paribas était bien fondée à imputer les crédits d’impôt conventionnels correspondant aux retenues à la source pratiquées sur son impôt sur les sociétés.

Commencez à taper et appuyez sur Entrée pour effectuer la recherche

Plus-value immobilière : non prise en compte des matériaux achetés directement par le vendeurEffet d'une rectification fiscale sur le calcul de la plus-value immobilière