26 décembre 2021

Responsabilité des services fiscaux et indemnisation du recours à l’emprunt

Me Grégory D'Angela

Lorsque l’administration fiscale commet une faute lors de l’exécution d’opérations se rattachant à l’établissement ou au recouvrement de l’impôt, cette faute est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Lorsque le contribuable a dû emprunter auprès d’une banque pour payer un impôt ultérieurement remis en cause par le juge de l’impôt, peut-il obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la souscription de cet emprunt (intérêts d’emprunt, frais de dossier, frais d’assurance, frais de garantie) ?

Telle était la délicate question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu par la négative dans une décision du 10 décembre 2021 (CE 10 décembre 2021, req. n° 437412, publié aux Tables).

Le Conseil d’Etat juge de manière constante que le préjudice pour lequel le contribuable peut demander réparation ne saurait résulter du seul paiement de l’impôt, dès lors que celui-ci est automatiquement indemnisé pour ce préjudice. En effet, lorsque le juge de l’impôt (en première instance, le tribunal administratif ou le tribunal judiciaire) prononce la décharge de l’impôt lors d’un contentieux fiscal, l’administration fiscale rembourse au contribuable les sommes qu’il a indûment versées au Trésor public, avec versement d’intérêts moratoires.

C’est la même logique qui a conduit le Conseil d’Etat dans sa décision du 10 décembre 2021 à refuser l’indemnisation du préjudice subi par le contribuable du fait de la souscription d’un emprunt pour payer l’impôt. En effet, la Haute juridiction administrative a considéré que « le préjudice subi par des contribuables tenant aux intérêts d’emprunt et aux frais de dossier supportés pour acquitter des suppléments d’impôt indument mis à leur charge est indemnisé par le versement des intérêts moratoires qui accompagne la restitution de ces impositions. L’Etat ne peut pas être condamné à leur verser une indemnité en réparation de ce préjudice ».

Dans cette décision, le Conseil d’Etat ne conteste nullement le fait que le contribuable a bien subi un préjudice du fait de la souscription d’un emprunt pour payer un impôt indu. Il estime seulement que ce préjudice est déjà couvert par le versement d’intérêts moratoires.

Mais est-ce réellement le cas ? Les intérêts moratoires couvrent-ils réellement le préjudice subi par le contribuable ?

A titre liminaire, il est rappelé que le taux des intérêts moratoires est, en vertu de l’article L. 208 du Livre des procédures fiscales, aligné sur celui de l’intérêt de retard, soit actuellement 0,20 % par mois. Pour le 2nd semestre 2021, le taux des intérêts moratoires s’élève ainsi à 1,2 % (0,20 % x 6 mois) ; ce qui, à titre de comparaison, est bien plus faible que le taux de l’intérêt au taux légal fixé à 3,12 % lorsque le créancier est un particulier. Il apparaît ainsi que l’Etat n’est pas d’une grande générosité lorsqu’il s’agit d’indemniser le contribuable (personne physique) qui a payé au Trésor public un impôt indu …

En tout état de cause, quand bien même on viendrait à considérer que le versement des intérêts moratoires suffit à indemniser le contribuable qui a payé l’impôt sur ses fonds propres, il ne saurait en aller de même pour le contribuable qui a dû recourir à l’emprunt. En effet, ce dernier a supporté du fait de cet emprunt de nombreuses charges financières : intérêts d’emprunt, frais de dossier, frais d’assurance et frais de garantie. Or, rien ne permet de garantir au contribuable que les intérêts moratoires qui lui sont versés couvrent bien l’ensemble de son préjudice, dès lors qu’ils présentent du fait de leur mode de calcul un caractère forfaitaire.

En fait, pour que le contribuable soit pleinement indemnisé, son préjudice doit être évalué sur une base réelle et non forfaitaire ; ce que le Conseil d’Etat refuse pour deux raisons principales. Premièrement, une raison pratique tenant aux difficultés pour chiffrer le préjudice. Deuxièmement, une évaluation du préjudice sur une base réelle conduirait à favoriser un mode de financement (le recours à l’emprunt) par rapport à un autre (le financement sur fonds propres).

Si l’on peut comprendre la première raison, la seconde, en revanche, ne paraît nullement convaincante. En effet, la volonté de ne pas favoriser un mode de financement (le recours à l’emprunt) par rapport à un autre (le financement sur fonds propres) n’a de sens que lorsque le contribuable, alors qu’il dispose de l’argent pour payer l’impôt, préfère recourir à l’emprunt pour conserver ses économies. Ici, il s’agit d’un choix volontaire du contribuable. Malheureusement, le contribuable n’a pas toujours l’argent pour payer l’impôt. Le choix de recourir à l’emprunt n’est alors plus un choix volontaire mais un choix contraint.

Or, peut-on traiter de la même manière le contribuable qui a été contraint de recourir à l’emprunt et le contribuable qui n’a eu recours à l’emprunt que par souci de préserver ses économies ? Ceci ne nous paraît pas souhaitable et c’est pourtant la conséquence directe de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 10 décembre 2021.

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