23 septembre 2022

Affaire Areva – Suez : précisions sur la qualification de titre de participation

Me Grégory D'Angela

Les titres Suez acquis en septembre 2005 par la société Areva auprès de la société Cogema constituent-ils des titres de participation ou bien de simples titres de placement ?

La réponse à cette question emporte de lourdes conséquences fiscales. En effet, en cas de qualification de titre de participation, la plus-value de cession des titres est imposée à l’impôt sur les sociétés (IS) au taux de 0 % ; seule une quote-part de frais et charges égale à 12 % du montant brut de la plus-value est soumise à l’IS au taux de droit commun. En revanche, en cas de qualification de titre de placement, la plus-value de cession des titres est intégralement imposée à l’IS au taux de droit commun.

Dans sa décision « Areva » du 22 juillet 2022 (CE 22 juillet 2022 Société Areva, req. n° 449444, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a donné gain de cause à la société requérante en considérant que les titres en litige répondaient bien à la qualification de titres de participation.

 

Les faits à l’origine du litige fiscal

En septembre 2005, la société Cogema a cédé à la société Areva des titres de la société Suez, représentant 2,2 % de son capital social, pour un montant total de 646 302 925 euros.

En décembre 2005, la société Areva a classé les titres Suez ainsi acquis en titres de participation.

Le 2 juillet 2008, à la suite de la fusion des sociétés Suez et GDF, la société Areva a inscrit à l’actif de son bilan les titres GDF-Suez pour une valeur de 1 136 000 142 euros en contrepartie de la sortie du bilan des titres Suez pour une valeur de 585 412 049 euros.

La société Areva a estimé que la plus-value générée par cette opération d’échange entre les titres Suez et les titres GDF-Suez pouvait bénéficier du régime de faveur prévu au a) quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts, dans la mesure où elle porte sur des titres revêtant la qualification de titres de participation au sens de ces dispositions.

Contrairement à la société Areva, l’administration fiscale a contesté la qualification de titres de participation et a, en conséquence, imposé la plus-value à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun.

La société Areva a alors introduit une procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de contester cette rectification fiscale.

 

La qualification de titre de participation

Le rappel de la jurisprudence « Lemaire » :

Dans sa décision « Areva » du 22 juillet 2022, le Conseil d’Etat a rappelé que :

  • en vertu du a) quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts (CGI), les titres de participation éligibles au régime de faveur (imposition au taux de 0 %) sont notamment « les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable »  ;
  • « Les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable » s’entendent des titres dont la possession durable est utile à l’activité de la société acquéreuse par l’exercice d’une influence ou d’un contrôle sur la société émettrice ;
  • L’utilité pour l’activité de l’entreprise est caractérisée lorsque les conditions d’achat des titres révèlent l’intention de l’acquéreur :
    • soit d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence ;
    • soit de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu’une telle détention lui confère ou les avantages qu’elle lui procure pour l’exercice de cette activité.

A la lecture de la décision « Areva », il apparaît que le Conseil d’Etat a rappelé sa jurisprudence « Lemaire » rendue en 2016 étendant la qualification de titre de participation au cas où la société acquéreuse a, en acquérant les titres en cause, pour but de favoriser son activité, alors même qu’elle ne détient pas suffisamment de titres pour exercer une influence sur la société émettrice (CE 20 mai 2016 SELARL Lemaire, req. n° 392527, publié aux Tables).

Dans cette affaire « Lemaire », il avait ainsi été jugé que constituent des titres de participation des titres détenus par la SELARL d’un médecin dans le capital d’une clinique qui lui permettent d’exercer son activité professionnelle au sein de cette clinique dans des conditions privilégiées, quand bien même la quotité de titres détenue ne lui permet pas d’exercer une influence sur la société émettrice.

L’application de la jurisprudence « Lemaire » à Areva :

Les titres en litige acquis par Areva, qui représentaient 2,2 % du capital de Suez et 2 % des droits de vote, ne lui permettaient pas d’exercer un contrôle sur Suez ni même une influence suffisante pour emporter la qualification de titres de participation.

Toutefois, comme indiqué ci-avant, il résulte de la jurisprudence « Lemaire » que la qualification de titre de participation peut également découler de l’intention de l’acquéreur de favoriser son activité, notamment par les prérogatives juridiques que la détention des titres lui confère ou les avantages qu’elle lui procure pour l’exercice de cette activité.

Or, en l’espèce, plusieurs éléments du dossier ont permis de juger qu’Areva avait bien souhaité, en acquérant les titres Suez, favoriser son activité, notamment dans le domaine nucléaire.

Tout d’abord, si la participation d’Areva dans le capital de Suez était ultra minoritaire, l’actionnariat de Suez était néanmoins très éclaté, si bien qu’aucun des actionnaires plus importants qu’Areva ne détenait de participation suffisante pour emporter les décisions en Assemblée générale ou même disposer d’une minorité de blocage. Areva était donc en mesure de peser sur chaque délibération.

Ensuite, Areva disposait, comme prérogative juridique, de la possibilité d’inscrire à l’ordre du jour des assemblées générales des résolutions à soumettre au vote des actionnaires.

Enfin, l’acquisition des titres Suez a permis à Areva de créer des liens durables avec Suez présentant un intérêt stratégique majeur, nonobstant le fait qu’il existait déjà des relations d’affaires entre ces deux sociétés avant cette acquisition.

L’ensemble de ces éléments a conduit le Conseil d’Etat, à l’inverse de ce qui avait été jugé par la cour administrative d’appel, à reconnaître la qualification de titres de participations aux titres Suez acquis par Areva.

En conséquence, la Haute juridiction administrative a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés mise indûment à la charge d’Areva.

Commencez à taper et appuyez sur Entrée pour effectuer la recherche

Loyer Cannes acte anormal de gestionTaxe sur les salaires et salarié détaché à l'étranger