Pour bénéficier du crédit d’impôt sur les sociétés pour la production d’un spectacle vivant musical prévu à l’article 220 quindecies du code général des impôts (CGI), l’entrepreneur de spectacles vivants doit « avoir la responsabilité du spectacle », notamment la « responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique ». Qu’entend-on par avoir la « responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique » ? Cela implique-t-il d’avoir la responsabilité d’employeur à l’égard de tout le plateau artistique ou bien seulement de l’artiste principal ?
Dans une décision « Société Bleu Citron » du 6 juin 2023 (CE 6 juin 2023 Société Bleu Citron Productions, req. n° 459024, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a précisé que l’entrepreneur de spectacles vivants doit être regardé comme ayant la responsabilité du spectacle vivant musical lorsqu’il participe à sa création aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène et qu’il est ainsi responsable du choix, de la préparation et de la mise en oeuvre de ce spectacle, ce qui implique nécessairement qu’il soit l’employeur de l’artiste principal ou des artistes principaux du spectacle. En revanche, cela n’implique pas qu’il soit l’employeur effectif de la totalité du plateau artistique.
Données du litige fiscal
La société Bleu Citron Productions est un entrepreneur de spectacles vivants qui a demandé au ministre de la culture de lui délivrer un agrément provisoire afin de bénéficier du crédit d’impôt sur les sociétés prévu à l’article 220 quindecies du CGI pour la production d’un spectacle vivant musical : la tournée française 2018 du groupe de rap français « Suprême NTM ».
Le ministre de la culture a refusé la délivrance de cet agrément provisoire au motif que la société Bleu Citron Productions n’avait pas la « responsabilité du spectacle », en ce qu’elle n’était pas l’employeur de l’artiste principal du spectacle.
La société Bleu Citron Productions a contesté cette décision de refus d’agrément devant les juridictions administratives : tribunal administratif, cour administrative d’appel puis Conseil d’Etat.
Les entrepreneurs de spectacles vivants musicaux éligibles au crédit d’impôt
L’article 220 quindecies du CGI dispose que :
« I. – Les entreprises exerçant l’activité d’entrepreneur de spectacles vivants, au sens de l’article L. 7122-2 du code du travail, et soumises à l’impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dépenses de création, d’exploitation et de numérisation d’un spectacle vivant musical ou de variétés mentionnées au III du présent article si elles remplissent les conditions cumulatives suivantes :
1° Avoir la responsabilité du spectacle, notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique. Dans le cas d’une coproduction, cette condition est remplie par l’un des coproducteurs au moins ».
Les entrepreneurs de spectacles vivants pouvant bénéficier du crédit d’impôt prévu à l’article 220 quindecies du CGI sont ceux qui ont la « responsabilité du spectacle », notamment la « responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique ».
1) La notion de responsabilité d’employeur :
Le droit fiscal et le droit du travail sont ici intimement liés.
a) Les entrepreneurs de spectacles vivants sont classés par l’article D. 7122-2 du code du travail en trois catégories :
« Les entrepreneurs de spectacles vivants soumis aux obligations du présent chapitre sont classés selon les catégories suivantes :
1° Les exploitants de lieux de spectacles aménagés pour les représentations publiques ;
2° Les producteurs de spectacles ou entrepreneurs de tournées qui ont la responsabilité d’un spectacle et notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique ;
3° Les diffuseurs de spectacles qui ont la charge, dans le cadre d’un contrat, de l’accueil du public, de la billetterie et de la sécurité des spectacles, et les entrepreneurs de tournées qui n’ont pas la responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique ».
A la lecture de l’article D. 7122-2 du code du travail, il apparaît clairement que les entrepreneurs de spectacles vivants pouvant bénéficier du crédit d’impôt prévu à l’article 220 quindecies du CGI sont ceux qui appartiennent à la 2ème catégorie, à savoir ceux « qui ont la responsabilité d’un spectacle et notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique ».
b) Il est à noter qu’un entrepreneur de spectacles peut avoir une responsabilité d’employeur vis-à-vis d’un artiste, même s’il n’existe aucun lien de subordination entre eux.
En effet, les entrepreneurs de spectacles vivants sont soumis en matière de droit du travail à des règles dérogatoires au droit commun. Ainsi, il résulte clairement des articles L. 7121-3 et L. 7121-4 du code du travail que tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.
2) La notion de responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique :
Les entrepreneurs de spectacles vivants pouvant bénéficier du crédit d’impôt prévu à l’article 220 quindecies du CGI sont ceux qui ont la « responsabilité du spectacle », notamment la « responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique ».
Dans sa décision « Société Bleu Citron » du 6 juin 2023, le Conseil d’Etat a précisé que l’entrepreneur de spectacles vivants doit être regardé comme ayant la responsabilité du spectacle vivant musical lorsqu’il participe à la création du spectacle aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène et est ainsi responsable du choix, de la préparation et de la mise en oeuvre de ce spectacle.
Tel est le cas lorsque l’entrepreneur de spectacles vivants a une responsabilité d’employeur vis-à-vis de l’artiste principal ou des artistes principaux du spectacle ; ce qui ne nécessite pas forcément de lien de subordination. En revanche, il n’est pas nécessaire qu’il soit l’employeur effectif de la totalité du plateau artistique.
En conclusion, pour pouvoir bénéficier du crédit d’impôt prévu à l’article 220 quindecies du CGI, l’entrepreneur de spectacles vivants doit participer activement à la création du spectacle en donnant des consignes, au moins à l’artiste principal, concernant le choix, la préparation et la mise en œuvre de ce spectacle.
Application au groupe « Suprême NTM »
Le Conseil d’Etat a constaté que la société Bleu Citron Productions ne jouait aucun rôle dans le choix, la préparation et la mise en œuvre du spectacle de NTM, si bien qu’elle ne pouvait être considérée comme ayant une responsabilité d’employeur vis-à-vis de l’artiste principal.
Il en a déduit que le ministre de la culture était fondé à refuser de lui délivrer l’agrément prévu à l’article 220 quindecies du CGI.