30 mars 2023

Fiscalité France Emirats Arabes Unis : salaires perçus par les Français détachés aux EAU

Me Grégory D'Angela

Un Français dont la famille vit en France, qui est salarié d’une société suisse et qui est détaché par celle-ci aux Emirats Arabes Unis peut-il être soumis en France à l’impôt sur le revenu à raison de ses revenus de source émiratie ?

Dans une décision du 20 mars 2023 (CE 20 mars 2023, req. n° 452718), le Conseil d’Etat a jugé que ses salaires de source émiratie peuvent effectivement être soumis en France à l’impôt sur le revenu mais qu’il peut néanmoins bénéficier, en vertu de la convention fiscale franco-émiratie du 19 juillet 1989, de l’imputation sur l’impôt sur le revenu d’un crédit d’impôt conventionnel égal à l’impôt français correspondant aux revenus de source émiratie.

 

Données du litige fiscal

Durant les années d’imposition en litige, le requérant était propriétaire d’une maison située en France où vivaient son épouse et ses enfants. En ce qui le concerne, il a séjourné, durant cette période, principalement aux Emirats Arabes Unis. En effet, son employeur suisse (la société Ovivo Switzerland AG) lui a demandé, dans le cadre d’un contrat de détachement, d’exécuter une mission au bénéfice d’une société située aux Emirats Arabes Unis (la société Aqua Engineering GmbH), filiale à 100% d’une société autrichienne (la société Ovivo Aqua Austria GmbH).

Le requérant a déclaré au fisc français que les rémunérations liées à son activité exercée aux Emirats Arabes Unis étaient exonérées d’impôt sur le revenu en application de l’article 81 A du code général des impôts (CGI) relatif aux travailleurs détachés à l’étranger.

A la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a, par une proposition de rectification, remis en cause cette exonération et assujetti le requérant à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. Ce dernier a saisi la juridiction administrative du contentieux fiscal.

 

Sur la loi fiscale française

Lieu du domicile fiscal du salarié :

Première condition : l’exonération d’impôt sur le revenu prévue à l’article 81 A du CGI est réservée aux salariés ayant leur domicile fiscal au sens de l’article 4 B du CGI.

En l’espèce, le requérant ayant le centre de ses intérêts familiaux en France, c’est en France que se situe son foyer et, par suite, son domicile fiscal au sens de l’article 4 B du CGI.

La première condition posée par l’article 81 A du CGI est donc satisfaite.

Lieu d’établissement de l’employeur :

Seconde condition : l’exonération d’impôt sur le revenu prévue à l’article 81 A du CGI est réservée aux salariés dont l’employeur est établi en France, dans l’UE ou dans l’Espace économique européen (EEE). Pour rappel, si la Suisse a signé l’accord sur l’EEE, elle ne l’a jamais ratifié et n’est donc pas membre de l’EEE.

En l’espèce, la question était donc de savoir si l’employeur réel du requérant était la société suisse Ovivo Switzerland AG, auquel cas l’exonération prévue à l’article 81 A du CGI ne s’appliquerait pas, ou bien, comme le soutenait le requérant, la société autrichienne Ovivo Aqua Austria GmbH, auquel cas cette exonération pourrait s’appliquer (l’Autriche est membre de l’UE).

Pour déterminer l’employeur réel du salarié, le Conseil d’Etat a examiné de près les stipulations du contrat de détachement. Il s’est avéré que malgré le fait que la rémunération du salarié était payée par la société basée aux EAU, le lien contractuel avec la société suisse était maintenu, si bien que celle-ci demeurait l’employeur réel du salarié :

« Ce contrat de détachement stipule, notamment, que les accréditations et autorisations sont délivrées par la société suisse, que M. A… est tenu de rendre compte en continu de son activité auprès du directeur exécutif de cette société, que son salaire de base est payé par la société suisse et fixé selon les mêmes critères que les salariés de cette société, que ses régimes de sécurité sociale et de retraite demeurent ceux applicables en Suisse et que les règles relatives à ses arrêts maladie et à ses congés sont également celles applicables aux salariés de la société suisse. Ces éléments démontrent que le lien contractuel durant la période de détachement est maintenu entre M. A… et la société suisse Ovivo Switzerland AG, la circonstance que les rémunérations versées à M. A… dans le cadre de son détachement ont été supportées par la société Aqua Engineering GmbH et que les prestations qu’il a fournies bénéficiaient à cette filiale d’une société autrichienne constituant une simple adaptation des conditions de travail de l’intéressé, sans incidence sur la qualité de son employeur ».

La Haute juridiction administrative en a logiquement déduit que l’administration fiscale était fondée à refuser au requérant le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 81 A du CGI.

 

Sur la convention fiscale France Emirats Arabes Unis du 19 juillet 1989

Le Conseil d’Etat n’a cependant pas limité son analyse à la loi fiscale française. Il a également vérifié si la convention fiscale du 19 juillet 1989 conclue entre la France et les Emirats Arabes Unis en vue d’éviter les doubles impositions n’était pas de nature à permettre au requérant de bénéficier à raison de ses revenus de source émiratie d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français.

En premier lieu, les juges du Palais Royal ont relevé le fait que le requérant était résident fiscal de France au sens de la convention fiscale franco-émiratie du 19 juillet 1989.

En second lieu, ils ont cité le § 1 de l’article 19 de cette convention, lequel accorde aux résidents fiscaux de France percevant des salaires provenant des Emirats Arabes Unis et qui y sont imposables un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français égal à l’impôt français correspondant aux revenus en cause :

« 12. En troisième lieu, toutefois, il résulte du paragraphe 1 de l’article 19 de la convention fiscale entre la France et les Emirats arabes unis que, pour les revenus autres que ceux, d’une part, visés aux paragraphes 1 et 3 de l’article 11 de cette convention et ceux, d’autre part, réalisés par un résident de France par l’intermédiaire d’un établissement stable ou d’une base fixe, situé aux Emirats arabes unis à des fins principalement fiscales, le bénéficiaire de revenus provenant des Emirats arabes unis et qui y sont imposables a droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris, qui est égal au montant de l’impôt français correspondant. Il résulte de ces stipulations que l’octroi de ce crédit d’impôt n’est pas soumis à la condition que les revenus concernés aient été effectivement imposés dans les Emirats arabes unis ».

Le Conseil d’Etat a jugé qu’en vertu de ces stipulations, le requérant avait bien droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français égal à l’impôt français correspondant à ses salaires de source émiratie. Le redressement qui lui a été notifié par le fisc n’était donc pas fondé.

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