01 juin 2020

Fiscalité France USA : fonds de commerce inscrit au bilan d’une succursale américaine

Me Grégory D'Angela

Le fait pour une société établie en France d’affecter au bilan fiscal de sa succursale américaine un fonds de commerce jusqu’alors exploité en France constitue-t-il une cession d’élément d’actif imposable en France ?

Dans sa décision « Fromageries Bel » du 27 mai 2020 (CE 27 mai 2020 Fromageries Bel, req. n° 434412, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a répondu positivement alors même que, par nature, la succursale américaine n’a pas de personnalité juridique distincte de la société française.

 

Données du litige fiscal

La SAS Boursin, établie en France, est propriétaire du fonds de commerce de vente des produits Boursin aux Etats-Unis et au Canada (fonds de commerce américain). Elle donne ce fonds de commerce en location-gérance à la SA Unilever Bestfoods France, également établie en France, laquelle le sous-loue à la société Conopco, établie aux Etats-Unis.

En novembre 2007, la SA Fromageries Bel, établie en France, membre du groupe Bel, acquiert 100 % des titres de la SAS Boursin auprès de la société Topaze, filiale d’Unilever, pour un prix de 306,5 millions d’euros. A la suite de cette acquisition, le fonds de commerce Boursin américain est donné en location-gérance par la SAS Boursin à une succursale américaine de la SA Fromageries Bel, déclarée en tant qu’établissement stable le 27 décembre 2007.

Le 1er juillet 2008, la SA Fromageries Bel décide la liquidation sans dissolution de la SAS Boursin avec effet rétroactif au 1er janvier 2008. Cette opération entraîne, lors de la transmission universelle de patrimoine qui en résulte, la constatation pour le fonds de commerce américain d’un mali technique de 62,7 millions d’euros. La SA Fromagerie Bel décide d’affecter ce mali technique à l’établissement stable créé aux Etats-Unis (succursale). Le fonds de commerce Boursin américain est de ce fait affecté au bilan fiscal de cet établissement stable américain.

En octobre 2009, la SA Fromageries Bel décide de céder via son établissement stable américain le fonds de commerce Boursin à une société américaine, la société Bel Brands, membre du groupe Bel.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la SA Fromageries Bel, l’administration fiscale a considéré que la décision de cette dernière d’affecter le fonds de commerce Boursin américain au bilan fiscal de sa succursale américaine s’analysait fiscalement en une cession d’actif au prix de 62,7 millions d’euros. En conséquence, elle a réintégré cette somme au résultat fiscal de la SA Fromageries Bel.

La SA Fromageries Bel a contesté ce redressement fiscal devant la juridiction administrative : tribunal administratif, cour administrative d’appel puis Conseil d’Etat.

 

La qualification de cession d’élément d’actif

Dans sa décision du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat a jugé très clairement que l’opération consistant pour une société établie en France à affecter un fonds de commerce, jusqu’alors exploité en France, au bilan fiscal de sa succursale américaine, laquelle constitue un établissement stable, doit être regardée fiscalement comme une cession d’élément d’actif imposable en France :

« Il résulte de ces dispositions combinées que, lorsqu’une société établie en France inscrit au bilan fiscal d’une succursale établie à l’étranger dont les bénéfices ne sont pas pris en compte dans ses bases d’imposition un élément d’actif jusqu’alors affecté à ses exploitations françaises, une telle opération est regardée, pour l’établissement du résultat imposable en France de cette société, comme ayant les effets d’une cession d’élément d’actif ».

En conséquence, le Conseil d’Etat a écarté le moyen soulevé par la SA Fromageries Bel arguant du fait que l’affectation du fonds de commerce à sa succursale américaine ne constituerait pas une cession d’élément d’actif et ne serait donc pas imposable en France.

 

La qualification d’établissement stable

Afin de contester le redressement fiscal, la SA Fromageries Bel a soulevé un second moyen tenant à ce que, avant la liquidation de la SAS Boursin, le fonds de commerce américain n’était pas exploité en France par la SAS Boursin mais par son établissement stable situé aux Etats-Unis, la société Conopco. Selon la SA Fromageries Bel, le fonds de commerce américain serait donc passé de cet établissement stable de la SAS Boursin situé aux Etats-Unis à sa succursale américaine ; ce qui ne donnerait pas lieu à imposition en France en application de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994.

Là encore, le Conseil d’Etat a écarté ce moyen au motif que la société Conopco exploitait le fonds de commerce avec ses propres moyens et ne pouvait donc pas constituer un établissement stable de la SAS Boursin :

« 9. Toutefois la cour, après avoir relevé qu’il résultait de l’instruction que les fonds de commerce en cause étaient donnés en location gérance par la société Boursin SAS à une autre société du groupe Unilever, la SA Unilever Bestfoods France, située en France, et que cette dernière les sous-louait à la société Conopco, n’a ni commis d’erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits soumis à son examen en se fondant sur ce que la société Conopco exploitait ces fonds avec ses propres moyens matériels, et non avec ceux de la société Boursin, pour juger que la société Boursin n’exploitait aucune entreprise aux Etats-Unis pour l’application de l’article 209 de ce code et n’y détenait pas d’établissement stable au sens des stipulations précitées ».

La Haute juridiction administrative en a logiquement déduit que la SAS Boursin exploitait en France le fonds de commerce américain. Par suite, l’affectation par la SA Fromageries Bel de ce fonds de commerce à sa succursale américaine était bien imposable en France.

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