19 mars 2022

Acte anormal de gestion et promesse unilatérale de vente d’actions

Me Grégory D'Angela

Lorsqu’une société holding consent au dirigeant salarié de l’une de ses filiales une promesse unilatérale de vente d’actions de cette filiale, à quelle date doit-on se placer pour apprécier si cette société holding a commis un acte anormal de gestion en concluant cette promesse ? A la date de levée de l’option d’achat par le dirigeant salarié ou à la date de conclusion de la promesse ?

Dans une décision très récente du 11 mars 2022 (CE 11 mars 2022 SARL Alone, req. n° 453016, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a précisé qu’il convenait, en toute logique, de se placer à la date de conclusion de la promesse :

« 4. Pour juger que la société Alone et Co avait consenti à M. G… une libéralité constitutive d’un acte anormal de gestion, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que le prix auquel cette société avait cédé à celui-ci, le 24 février 2011, les actions de la société Soréal-Ilou, sa filiale, était significativement inférieur à leur valeur vénale à cette date, a écarté l’argumentation de la société tirée ce qu’elle s’était trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d’un engagement de cession qu’elle avait contracté à l’égard de M. G…, au motif que cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure et que la promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de M. G… en contrepartie du sien. En statuant ainsi sans rechercher si en consentant le 14 mars 2009 à M. G… une promesse de vente des actions de la société Soréal-Ilou à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n’était pas subordonnée au respect d’engagements pris par ce dernier, la société Alone et Co avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l’implication complémentaire qu’elle pouvait attendre, du fait de l’option d’achat qu’elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres, la cour administrative a commis une erreur de droit ».

 

Données du litige fiscal

La société requérante, la société Alone, est une holding qui détient notamment la société Soréal-Ilou.

La société Alone avait consenti le 14 mars 2009 à M. G, dirigeant salarié de la société Soréal-Ilou, une promesse de vente de 233 964 actions Soréal-Ilou au prix unitaire de 1 € valable pendant 5 ans.

Le 24 février 2011, M. G a levé partiellement l’option d’achat et a acquis 100 270 actions Soréal-Ilou au prix unitaire de 1 €.

Le jour même, M. G a revendu ses 100 270 actions Soréal-Ilou au prix unitaire de 3,838 € à la SARL Fifty Win, une filiale de la société Alone.

Il résulte de ces opérations que la société Alone a cédé le 24 février 2011 à M. G 100 270 actions Soréal-Ilou à un prix unitaire de 1 € alors que leur valeur vénale unitaire était de 3,838 €.

Cette cession à un prix très inférieur à la valeur vénale constitue-t-elle un acte anormal de gestion ?

Tel était l’avis de l’administration fiscale qui, à l’issue de la vérification de comptabilité engagée à l’encontre de la société Alone, a réintégré à ses bénéfices imposables le bénéfice qu’elle aurait dû réaliser si elle avait cédé les actions Soréal-Ilou à leur valeur vénale.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel en charge du contentieux fiscal ont donné gain de cause à l’administration.

 

Solution du litige fiscal

Le rappel de la jurisprudence Croë Suisse :

Dans sa décision Alone du 11 mars 2022, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé sa jurisprudence « Croë Suisse » selon laquelle l’acte anormal de gestion est « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » (CE 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, req. n° 402006, publié au recueil).

Pour prouver l’existence d’un acte anormal de gestion, l’administration fiscale doit, en principe, établir la réunion de deux éléments :

  • un élément objectif : l’appauvrissement de l’entreprise
  • un élément intentionnel : la conscience de l’entreprise d’agir contre son intérêt social

S’agissant de l’élément intentionnel, la jurisprudence « Croë Suisse » précise toutefois qu’il est présumé satisfait en cas de cession d’un élément de l’actif immobilisé à un prix significativement inférieur à sa valeur vénale, sauf si le contribuable justifie, en apportant la preuve contraire, que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie (CE 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, précité).

Or, lorsqu’une société holding vend au dirigeant salarié de l’une de ses filiales des actions de cette filiale, elle cède un élément de son actif immobilisé. La jurisprudence « Croë Suisse » lui est donc applicable.

La date d’appréciation de l’acte anormal de gestion :

L’application de la jurisprudence « Croë Suisse » n’est pas sans poser problème lorsque le dirigeant salarié procède à l’acquisition des actions par la levée d’une option d’achat consentie dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente. En effet, comme tout agent économique rationnel, le dirigeant salarié ne procède à la levée de l’option que s’il a intérêt à le faire, c’est-à-dire si, à la date de levée de l’option, le prix d’achat est inférieur, voire très inférieur, à la valeur vénale des titres.

Si l’on se place à la date de levée de l’option d’achat, la qualification d’acte anormal de gestion sera, sauf preuve contraire du cédant, presque toujours satisfaite dès lors que la cession aura presque toujours lieu à un prix significativement inférieur à la valeur vénale.

Pour éviter une telle solution qui serait particulièrement sévère pour les entreprises qui accordent très fréquemment à leurs dirigeants salariés, dans le cadre de dispositifs de management package, des promesses unilatérales de vente de titres à des prix préférentiels, le Conseil d’Etat a précisé dans sa décision « Alone » du 11 mars 2022 qu’il convenait, pour apprécier le caractère anormal de l’acte, de se placer à la date de conclusion de la promesse et non à la date de levée de l’option d’achat.

Comment apprécier si la conclusion de la promesse unilatérale de vente constitue un acte anormal de gestion ?

Il faut, tout d’abord, regarder l’objectif poursuivi par le promettant. Ainsi, si la conclusion de la promesse a pour objectif de fidéliser un dirigeant salarié dont les fonctions sont vitales pour le développement économique de l’entreprise, il s’agit d’un indice de l’absence d’acte anormal de gestion.

A cet égard, il est à noter que le fait que la promesse unilatérale de vente soit consentie par une holding au dirigeant salarié d’une filiale et non à l’un de ses propres dirigeants salariés ne saurait nécessairement entraîner la qualification d’acte anormal de gestion. En effet, en assurant le développement économique de la filiale, le dirigeant salarié assure aussi indirectement le développement économique de la société mère.

Il faut, ensuite, vérifier si le prix de vente stipulé est inférieur à la valeur vénale des titres au moment de la conclusion de la promesse. En effet, si le prix de vente stipulé correspond à la valeur vénale des titres au moment de la conclusion de la promesse, il s’agit là encore d’un indice de l’absence d’acte anormal de gestion.

Cependant, même en cas de prix de vente inférieur à la valeur vénale des titres au moment de la conclusion de la promesse, la qualification d’acte anormal de gestion pourra être écartée si le promettant réussit à prouver que la conclusion de la promesse lui offre des contreparties suffisantes.

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