19 avril 2022

Fiscalité France Brésil : imposition des plus-values sur cession de titres de sociétés immobilières

Me Grégory D'Angela

La doctrine administrative fait-elle obstacle à ce que l’administration fiscale française impose les plus-values sur cession de titres de sociétés immobilières (et les plus-values immobilières) réalisées au Brésil par un résident fiscal de France ?

Dans une décision du 14 avril 2022 (CE 14 avril 2022, req. n° 455943, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a donné une réponse négative au motif que la doctrine administrative, à l’instar de la convention fiscale franco-brésilienne, ne reconnaît pas au Brésil un pouvoir d’imposition exclusif.

Par ailleurs, il a précisé que les prélèvements sociaux entrent bien dans le champ d’application de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971.

 

Données du litige fiscal

La requérante, domiciliée fiscalement en France, possédait 400 241 actions de la SA Leão Irmãos Açucar e Alcool, société immobilière établie au Brésil.

Le 6 mars 2008, elle a cédé la totalité de ses actions à la société Brazil Ethanol Inc., établie aux USA dans l’Etat du Delaware.

Cette cession a généré une plus-value de 3 209 281 euros.

La requérante estimait que tant les stipulations de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971 que l’interprétation donnée de ces stipulations par la doctrine administrative faisaient obstacle à ce que la plus-value soit imposable en France.

Contrairement à la requérante, l’administration fiscale considérait que la plus-value était imposable en France. A la suite d’un contrôle fiscal, elle a ainsi soumis cette plus-value à la fois à l’impôt sur le revenu au taux proportionnel de 18 % (soit 577 670 euros) et aux prélèvements sociaux au taux global de 12,1 % (soit 388 323 euros). L’impôt acquitté au Brésil (419 833 euros) a toutefois été imputé sur la cotisation d’impôt sur le revenu ; ce qui a ramené son montant à 157 837 euros (577 670 – 419 833).

La requérante contestant l’imposition de la plus-value à la fois à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux a introduit un contentieux fiscal.

 

Premier pourvoi devant le Conseil d’Etat

Dans son premier pourvoi devant le Conseil d’Etat, la requérante s’est prévalue des stipulations du paragraphe 1 de l’article 13 de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971 qui, selon elle, donnaient exclusivement compétence au Brésil pour imposer la plus-value en litige.

L’article 13 de cette convention stipule que :

« 1. Les gains provenant de l’aliénation des biens immobiliers (…) ou de l’aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l’Etat contractant où ces biens immobiliers sont situés ».

Dans une décision du 11 décembre 2020 (CE 11 décembre 2020, req. n° 440307, publié aux Tables) que nous avons déjà commentée, le Conseil d’Etat a exclu cette compétence exclusive du Brésil en ces termes :

« En prévoyant que les gains provenant de l’aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l’Etat où ces biens sont situés, les stipulations précitées du 1 de l’article 13 n’ont ni pour objet, ni pour effet d’exclure toute possibilité, pour l’Etat dont le contribuable est résident, d’imposer également ces gains ».

Le Conseil d’Etat a fort logiquement pris en considération le fait que l’article 13 de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971 distingue clairement selon que le revenu « est imposable dans l’Etat contractant » ou « n’est imposable que dans l’Etat contractant » :

  • Lorsque le revenu « n’est imposable que dans l’Etat contractant », l’autre Etat contractant n’a aucun pouvoir d’imposition.
  • En revanche, lorsque le revenu est « imposable dans l’Etat contractant », l’autre Etat contractant garde un pouvoir d’imposition. Il doit seulement, dans la fixation de l’impôt, tenir compte de l’impôt payé dans le premier Etat.

 

Second pourvoi devant le Conseil d’Etat

La compétence fiscale de la France :

Dans son second pourvoi devant le Conseil d’Etat, la requérante s’est prévalue de l’interprétation donnée par la doctrine administrative des stipulations du paragraphe 1 de l’article 13 de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971. Là encore, elle estimait que la doctrine administrative donnait exclusivement compétence au Brésil pour imposer la plus-value en litige.

C’est ce second pourvoi qui a donné lieu à la décision précitée du Conseil d’Etat du 14 avril 2022.

L’instruction fiscale 14 B-17-72 du 8 décembre 1972, reprise au paragraphe 490 de la doctrine administrative publiée au Bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-INT-CVB-BRA du 12 août 2015, commente l’article 13 de la convention franco-brésilienne en ces termes :

« Le droit d’imposer les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers ou de parts et droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers est attribué à l’État de la situation des biens (art. 13, paragraphe 1).

L’imposition des gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers dépendant de l’actif d’un établissement stable est réservée à l’État où se trouve situé cet établissement stable et celle provenant de gains afférents à la vente de navires ou aéronefs exploités en trafic international à l’État du siège de la direction effective de l’entreprise (art. 13, paragraphe 2).

Par contre, les gains provenant de la vente de tous autres biens ou droits analogues restent imposables dans les deux États (art. 13, paragraphe 3) ».

Le Conseil d’Etat a noté que la doctrine administrative, comme la convention fiscale, fait une distinction entre le paragraphe 1 qui « attribue » le droit d’imposer à un Etat et le paragraphe 2 qui « réserve » ce droit, c’est-à-dire l’attribue exclusivement, à un Etat :

« 4. Le premier alinéa de ces énonciations se borne à rappeler que la convention reconnaît à l’Etat où se situent des biens immobiliers un droit d’imposer les gains résultant de leur cession ou de celle de parts d’une société dont ils composent principalement l’actif, sans préciser que l’Etat de résidence du bénéficiaire des gains se trouve privé du pouvoir d’imposer ses propres résidents à raison des mêmes gains. Le deuxième alinéa mentionne, à l’inverse, pour d’autres gains, un droit d’imposition réservé, c’est-à-dire exclusivement attribué, à l’un des deux Etats parties, alors que le troisième alinéa indique que certains autres gains sont concurremment imposables dans les deux Etats parties ».

Le Conseil d’Etat en a déduit que la doctrine administrative, comme la convention fiscale, ne confère pas au Brésil une compétence exclusive pour imposer les plus-values sur cession de titres de sociétés immobilières réalisées au Brésil par un résident fiscal de France.

L’application de la convention fiscale franco-brésilienne aux prélèvements sociaux : 

Dans sa décision précitée du 14 avril 2022, le Conseil d’Etat a également précisé que les prélèvements sociaux entrent dans le champ d’application de la convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971 :

« 12. En vertu de l’article 2 de la même convention, celle-ci s’applique, pour la France, notamment, à ” l’impôt sur le revenu “, ainsi qu’aux ” impôts futurs de nature identique ou analogue qui s’ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient “. Les prélèvements sociaux assis sur les revenus soumis, en France, à l’impôt sur le revenu, créés postérieurement à l’entrée en vigueur de la convention, constituent, pour l’application de ces stipulations, des impôts de nature analogue s’ajoutant à cet impôt ».

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