15 septembre 2022

Renonciation à des revenus locatifs et acte anormal de gestion

Me Grégory D'Angela

La société Phoenix Union Co, établie en Suisse, a mis gratuitement à disposition de son associé unique deux appartements dont elle est propriétaire à Cannes en 2011 et 2012. Cette opération est-elle constitutive d’un acte anormal de gestion et, si oui, est-elle imposable en France ?

Dans sa décision « Phoenix Union Co » du 22 juillet 2022 (CE 22 juillet 2022 Société Phoenix Union Co, req. n° 444942, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a répondu positivement à ces deux interrogations.

 

Les faits à l’origine du litige fiscal

La société Phoenix Union Co a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. A l’issue de ce contrôle fiscal, l’administration a considéré que cette société a commis un acte anormal de gestion en renonçant à percevoir sur son associé unique des loyers en contrepartie de la mise à disposition gratuite au profit de ce dernier de deux appartements dont elle est propriétaire à Cannes.

En conséquence, l’administration fiscale a réintégré aux bénéfices imposables en France de la société Phoenix Union Co les loyers qu’elle aurait dû percevoir si elle n’avait pas commis d’acte anormal de gestion et l’a alors assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés.

La société suisse contestant notamment la qualification d’acte anormal de gestion a soumis le contentieux fiscal au tribunal administratif, puis à la cour administrative d’appel et enfin au Conseil d’Etat.

 

Une opération constitutive d’un acte anormal de gestion

Dans sa décision Société Phoenix Union Co du 22 juillet 2022, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé sa jurisprudence « Croë Suisse » selon laquelle l’acte anormal de gestion est « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » (CE 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, req. n° 402006, publié au recueil).

Pour prouver l’existence d’un acte anormal de gestion, l’administration fiscale doit ainsi établir, outre l’appauvrissement de l’entreprise, le fait que celui-ci est contraire à son intérêt social.

Or, il n’est pas toujours aisé de déterminer si une opération donnée est conforme ou non à l’intérêt social d’une entreprise.

Par exemple, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger, ce qui n’allait pas de soi, que lorsqu’une société appartient à un groupe de société, il y a lieu de prendre en considération le seul intérêt de la société et non celui du groupe auquel elle appartient (CE 1er mars 2004 Société AS Représentation, req. n° 237013, publié au recueil).

Dans sa décision Société Phoenix Union Co du 22 juillet 2022, le Conseil d’Etat a ici souligné le fait que l’intérêt d’une société doit être distingué de celui de son associé unique :

« 7. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c’est sans commettre d’erreur de droit ni inexactement qualifier les faits de l’espèce qui lui étaient soumis que la cour administrative d’appel de Marseille a jugé qu’en mettant à la disposition gratuite de son unique associé deux appartements situés à Cannes, la société Phoenix Union Co avait renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu’une gestion normale de ses biens eut procurées ».

Cette solution fort logique trouve son fondement dans la séparation des patrimoines entre celui de l’associé unique et celui de la société. En effet, dans la mesure où ces deux patrimoines sont distincts, une opération conforme à l’intérêt de l’associé unique n’est pas forcément conforme à l’intérêt de sa société.

Par ailleurs, bien que le Conseil d’Etat ne l’ait pas indiqué expressément dans le texte de l’arrêt mais seulement dans son abstract publié dans les Tables du recueil Lebon, il a considéré que le fait de mettre gratuitement un bien immobilier à la disposition d’un associé est contraire à l’intérêt de la société alors même que cette opération est conforme à son objet social.

A travers cette solution jurisprudentielle, on comprend toute la difficulté à apprécier l’intérêt social d’une entreprise et, par là même, le caractère subjectif de la notion d’acte anormal de gestion.

 

Des revenus non perçus imposables en France

En ce qui concerne le lieu d’imposition des revenus non perçus, l’article 6 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 stipule que :

« 1. Les revenus provenant des biens immobiliers (…) sont imposables dans l’Etat contractant où ces biens sont situés (…)

 4. Les dispositions des paragraphes 1 et 3 s’appliquent également aux revenus provenant des biens immobiliers d’une entreprise (…)».

En vertu de ces stipulations conventionnelles, lorsqu’une société établie en Suisse perçoit des revenus à raison de la location d’un bien immobilier situé en France, ces revenus sont imposables en France.

Par suite, si la société Phoenix Union Co, établie en Suisse, avait perçu des loyers de son associé à raison de la location des biens immobiliers susmentionnées situés à Cannes, ces loyers auraient été imposables en France en vertu de la convention fiscale franco-suisse.

Les revenus non perçus correspondant à la mise à disposition gratuite des biens immobiliers en cause étant assimilables aux revenus qui auraient dû être perçus du fait de leur location, le Conseil d’Etat en a déduit que ces revenus non perçus sont également imposables en France (CE 22 juillet 2022 Société Phoenix Union Co, req. n° 444942, publié aux Tables) :

« 9. Il résulte de ces stipulations que les revenus correspondant à la mise à disposition gratuite d’appartements sont assimilables à des revenus provenant de biens immobiliers au sens des stipulations de l’article 6 de la convention précitée et ne peuvent être regardés comme des revenus non spécialement traités par cette convention au titre de son article 23. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que cette société avait été imposée à bon droit à l’impôt sur les sociétés en France sur la base des revenus correspondant au prix normal de location qu’elle aurait pu tirer de ses appartements situés à Cannes durant la période d’occupation gratuite par son associé ».

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